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chair confisquée

Réflexions sur le corps en société

Village burkini

Léo, 34 printemps et déjà 12 ans de PS, contemplait avec un mélange de satisfaction et de perplexité les trois piscines et la centaine de transats occupés du centre hôtelier Bouygues-BeIN. Son patronyme officiel, même si la plupart des médias s’obstinaient à lui attribuer le surnom de « village burkini », en référence à la fameuse polémique démarrée 8 années plus tôt.

On était en plein mois d’août et la chaleur se faisait étouffante. Une femme couverte de la tête aux pieds (un modèle Saint Laurent dernier cri, nota t’il) passa devant lui. Il se demanda pour la énième fois comment elles supportaient cela … et sourit en pensant aux milliers de naturistes qui se baignaient au même moment à l’autre bout du Cap d’Agde, à moins de 4 kilomètres. L’emplacement retenu en avait fait tiquer plus d’un… mais le montage financier était en or et avait su vaincre toutes les réticences, celles des élus PS comme celles des représentants du nouvellement formé Culte Musulman Républicain.

« Je t’en sers un autre, mon vieux ? »
Léo se retourna. Amine, son partner in crime, lui tendait tout sourire un virgin mojito. Lui n’était ni satisfait, ni perplexe : il exultait, tout simplement. Il faut dire qu’il avait porté sur ses épaules et depuis le début ce projet, qu’il avait vendu en personne à Martin Bouygues à seulement 28 ans. Son succès allait faire de lui un des nouveaux hommes forts (et un des plus fortunés) de l’entreprise. Mais ce n’était pas l’unique motif de son bonheur : Amine croyait fermement au bien-fondé de ce qu’ils faisaient ici. Français musulman parfaitement intégré et militant inlassable d’un communautarisme positif, il défendait avec le même acharnement la laïcité la plus stricte dans les écoles de la République et le droit de chacun à se constituer un entre-soi sans pour autant se faire taxer de mauvais citoyen.

Léo le rejoignit derrière le comptoir et ils trinquèrent ensemble.
« Alors, ça fait quel effet ?
– C’est impensable, mon ami. On vient d’atteindre 80% de remplissage pur la prochaine saison… Seulement deux semaines après l’ouverture des inscriptions !
– Qu’en dit ton patron ?
– Le vieux Bouygues ? Il est aux anges ! Mais, et le tien ? C’en est où votre projet de loi ? Ca a l’air de chauffer à l’Assemblée… »
Léo secoua la tête avec résignation.
« Tu peux le dire. Manuel est sur les nerfs… Je crois qu’il en regretterait presque le temps où il servait la soupe à Hollande. Quand à Emmanuel, il en bave sacrément… Je n’aimerais pas être à sa place. Mais bon, on avance tant bien que mal… Il y a 95% de chances qu’on puisse conserver en l’état l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans l’espace public.
– Et sur le harcèlement ?
– Le centre-droit nous suit là-dessus !  Finis les « hey mademoiselle » et autres « t’es mignonne toi » : 450 euros d’amende en guise de coup de semonce et de la prison avec sursis en cas de récidive. On avance également avec la RATP sur le dispositif « plaisance » : 20% des wagons seront réservés aux femmes et personnes se réclamant de genre féminin. Avec là aussi, de grosses amendes en cas d’infraction.
– Ca va être une belle loi… Peut-être que l’espace public va enfin redevenir un endroit agréable et serein. Tu dois être fier, non ? Quand on voit tout ce que vous avez abattu comme boulot en moins deux ans… »

C’était vrai : ils avaient bien bossé. Il y a un an, la loi Macron 2 avait définitivement brisé les inerties de la vieille société de rente à la française et libéré les énergies du pays. La suppression du CDI, la réforme des prudhommes et la refonte de l’intermittence, cadeaux expiatoires d’un socialisme rénové devenu le meilleur ami des entreprises, formaient le socle d’un nouveau pacte de compétitivité avec à la clef la création de 250 000 emplois en moins de deux ans. Emplois précaires, avaient claironné les vieux éléphants de la gauche : un emploi malgré tout et c’est ce qui compte, avait rétorqué Manuel – et d’un point de vue électoral, il avait incontestablement raison.
La future loi Montebourg-Fourest en était le pendant sociétal. Comme l’avait déclaré le Président, l’espace public appartenait au peuple ; le peuple, c’était la République ; la République, c’était l’ordre, la laïcité positive et le respect. Il était donc temps que l’ordre, la laïcité positive et le respect s’imposent de nouveau dans l’espace public. C’est sur ce programme qu’il avait été élu en 2022 après 5 ans de gabegie droitiste, et c’est ce programme que Léo et ses équipes mettaient en oeuvre avec énergie.  Aujourd’hui, ils pouvaient l’affirmer sereinement : entre les forces militaires Vermeil déployées dans les rues de chaque ville de plus de 50 000 habitants pour lutter contre le terrorisme, les 15 000 nouveaux policiers municipaux chargés de faire respecter l’ordre laïc et le respect de tous par tous, et enfin avec ces nouvelles lois qui entreraient bientôt en vigueur… L’espace public était de nouveau un espace républicain.

Naturellement, et comme toutes les réformes audacieuses, leur politique soulevait de nouvelles questions. Ainsi de cette résidence : beaucoup de dinosaures de la gauche dénonçaient la création de nouveaux ghettos, le tout au profit des grands industriels et de leurs partenaires du Golfe. C’est bien qu’ils n’avaient jamais visité de ghetto, pensa Léo. Chambres de standing, climatisation, piscines et centres commerciaux… Il y avait même des cours de yoga et de pilates. Et puis, personne ne vous imposait d’y porter le voile ou une combinaison de plongée – même si Léo devait admettre ne pas avoir croisé un seul bikini depuis son arrivée. Mais enfin, c’était une question de logique : on n’allait pas interdire à ces citoyens de s’habiller à leur gré. Tant qu’ils le faisaient au sein d’espaces privés, qui pouvait trouver quoi que ce soit à y redire ? La républicanisation de l’espace public et la communautarisation (mais apaisée, comme le martelait Manuel) de l’espace privé étaient les deux piliers indissociables du nouveau PS.
Quant aux critiques sur les liens entre la France, ses grands industriels et le Qatar ou l’Arabie Saoudite, c’était un procès d’un autre temps. L’économie de marché était un fait, pas une option. Et ce n’est pas en laissant tous ces juteux contrats à l’Angleterre ou aux Russes qu’on ferait avancer la cause sociale, pas vrai ?

Il jeta un dernier coup d’oeil à la magnifique cour intérieure de la résidence ; et songea soudain à Ada, sa complice de l’époque Sciences Po avec laquelle il avait fait les 400 coups… et qui avait rejoint la Ligue de Gauche, créée quatre ans auparavant lors de l’implosion du PS. Ils ne se parlaient plus guère, et leurs conversations lui manquait… Il se souvint d’un épisode en première année, alors que la droite venait de faire passer la loi contre les signes ostensibles ; à l’époque, Léo s’en était autant indigné que son amie. Il se rappela avoir rêvé avec elle d’une société où femmes et hommes, nudistes et burkinis, hétéros et homos, cisgenres et transgenres pourraient cohabiter au sein d’un même espace public ; où tous pourraient se parler, se rencontrer, être en désaccord mais cohabiter malgré tout ; où l’Etat interviendrait avant tout pour assurer les bonnes conditions de ce vivre ensemble. Il pensait alors que c’était ça, faire société.
Ada continuait de le penser et de se battre pour. Parfois, Léo se demandait s’il n’avait pas abandonné trop vite. S’il n’aurait pas pu trouver une meilleure solution que ce communautarisme décomplexé…
Suffit, pensa t’il brutalement. Il savait qu’accompagner son amie aurait été un suicide politique. Peut-être plus tard, s’il poursuivait sa percée au sein de l’appareil socialiste… Peut-être.

Il finit son virgin mojito, salua Amine et se dirigea vers la sortie. On l’attendait au LGBTQIA (Lesbian Gay Bisexual Transgender Queer Intersex Asexual) Palace : un sublime centre hôtelier bâti par Bolloré à moins de vingt kilomètres et qui affichait déjà complet pour la saison.

 

Foot massage et exception sexuelle

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Ce à quoi Vegas répondit : j’ai administré des milliers de massages de pieds, et ils voulaient tous dire quelque chose. Et on comprend bien alors, du haut de ses 13 ans (mon âge quand pulp fiction fit irruption dans les salles obscures de la ville lumière), qu’il entend par là quelque chose de sexuel.

Le débat sur l’assistanat sexuel me fait penser à Pulp Fiction – je sais, la transition est un peu rude mais vous allez voir, ça fera bientôt sens comme on dit dans mon métier.

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Et pourtant, ils baisent

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Depuis le début des années 80, l’assistance sexuelle aux personnes handicapées est une activité légale aux Pays-Bas. Ont suivi le Danemark, l’Allemagne, les Etats-Unis… mais pas la France qui, malgré de nombreux débats, continue d’assimiler cette pratique à la prostitution.

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Tu es sûre que tu as du plaisir, là ?

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Une loi chasse l’autre… Il y a 13 ans, le parlement adoptait un texte pénalisant les prostituées au titre de racolage passif ou actif. A cette occasion était créé le « Collectif unitaire contre le système prostitutionnel », une association appelant de ses voeux un monde sans prostitution. Continuer à lire « Tu es sûre que tu as du plaisir, là ? »

Abolir la prostitution ? (edit du 9 avril)

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La proposition de loi visant à sanctionner les clients des prostituées a été adoptée hier en dernière lecture. Le recours à un(e) prostitué(e) sera donc passible d’une amende de 1500 euros, 3500 euros en cas de récidive.

Outre ce volet répressif, la loi se propose d’accompagner les prostitué(e)s souhaitant cesser leur activité, via un accompagnement social ainsi que la délivrance d’un titre de séjour temporaire pour les personnes étrangères. Continuer à lire « Abolir la prostitution ? (edit du 9 avril) »

Voile, mini-jupe et systèmes de représentation

Dans un article du 6 Avril paru dans Libération, l’élue EE-LV Esther Benbassa affirme que le voile n’est pas plus aliénant que la mini-jupe et qu’interdire l’un ou l’autre, c’est dans tous les cas confisquer aux femmes le droit de disposer de leur corps.

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Crédit photo : Hussein Chalayan

Difficile de ne pas tomber d’accord avec elle sur ce dernier point : je ne conçois aucun principe supérieur qui permettrait à l’Etat d’interdire à une femme de porter un voile, une perruche ou une combinaison faite de strass et de bonbon avec un imprimé dromadaire dans le dos.

Mais difficile également de ne pas se sentir gêné aux entournures par son autre affirmation : voile et mini-jupe égaux dans l’aliénation, religieuse pour le premier et marchande pour la seconde.

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Bouquet de vulves

Meredith White se bat contre la mise en norme du corps féminin avec ses crayons et pinceaux, en dessinant de magnifiques et protéiformes vulves qu’elle publie sur @clubclitoris.

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D’al Capone à Al Qaida

Depuis plusieurs décennies, l’administration états-unienne produit des publicités anti-drogues. Vous vous souvenez de ces spots ridicules contre le piratage qui ouvraient chaque dvd dans les années 2000 ? Imaginez pire (ou cliquez ici).

Cette longue saga connut un temps fort au lendemain des attentats du Wold Trade Center, lorsque fut introduit le nouveau message : « Drug money supports terror. If you buy drugs, you might too ».
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Corps C.O.D

On était vendredi soir, dans un bar du IXème arrondissement, j’étais gentiment ivre et d’humeur sociale. Sur le trottoir, Michèle (le prénom a été modifié par soucis d’anonymat et aussi un peu parce que je ne me souviens plus du vrai) emballait simultanément deux mecs sous le regard goguenard d’un papy aux allures de manouche mâtiné de punk. J’ai beau savoir que l’habit ne fait pas le moine, je le supposais spontanément plutôt réjoui du spectacle, en mode « ah ah ah, folle jeunesse ! »
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